- Laissant derrière lui une mer de honte, l'Ocean Viking s'apprête à débarquer 236 personnes rescapées en Sicile.
Par SOS MEDITERRANEE, le 01 Mai 2021
Marseille, le 1er mai 2021 - L'Ocean Viking, le navire affrété par l'organisation maritime et humanitaire européenne SOS MEDITERRANEE, fait route vers le port d'Augusta, en Sicile, après avoir reçu l'instruction de la part des autorités maritimes italiennes de débarquer 236 personnes secourues de deux embarcations pneumatiques en détresse le mardi 27 avril. Alors qu'un immense soulagement se propage à bord parmi les personnes rescapées qui vont bientôt atteindre un lieu sûr, les événements de la semaine dernière en Méditerranée centrale laissent nos équipes de sauvetage amères et endeuillées. Elles éprouvent le besoin de faire savoir à l'Europe ce qu'elles ont vécu.
Une catastrophe humaine qui ne cesse de s'aggraver
Un naufrage ne laissant aucune survivante ni aucun survivant, le sauvetage simultané de deux embarcations pneumatiques surchargées, plusieurs interceptions par les garde-côtes libyens. La mort, la survie, les retours forcés.
En l'espace d'une semaine, les équipes de SOS MEDITERRANEE ont assisté aux conséquences terribles d'une catastrophe qui ne cesse de s'aggraver. Une telle succession d'événements ne doit rien au hasard. Alors que les conditions météorologiques et maritimes étaient difficiles, notre équipe a cependant pu constater que la responsabilité de la catastrophe était avant tout une responsabilité humaine. « Des êtres humains en Libye profitent consciemment d'autres êtres humains piégés dans des conditions épouvantables, qui n'ont d'autre choix que d'entreprendre, quels que soient les risques, un voyage dangereux sur des embarcations précaires. Par ailleurs, depuis des années, les dirigeants politiques de l'Union européenne ont sciemment décidé de ne pas faire tout ce qui était en leur pouvoir pour sauver ces vies, de cesser de coordonner les opérations de recherche et de sauvetage et de permettre aux garde-côtes libyens de renvoyer illégalement ces personnes en Libye. Les autorités maritimes libyennes, italiennes et maltaises choisissent délibérément de ne pas informer les navires de sauvetage non gouvernementaux, déjà très rares, et de ne pas coordonner les opérations de sauvetage » déclare Sophie Beau, directrice générale de SOS MEDITERRANEE France et co-fondatrice de l'association.
Des personnes rescapées, dont certaines sont mineures, battues et forcées à monter sur des embarcations pneumatiques de fortune
De nombreuses personnes rescapées à bord de l'Ocean Viking ont décrit aux membres de l'équipe les violences que les trafiquants leur ont infligées en Libye. Réticentes à la vue des embarcations pneumatiques en mauvais état et des fortes vagues la nuit où elles étaient censées traverser la Méditerranée, beaucoup ont été battues et forcées d'embarquer. Parmi celles qui ont subi des passages à tabac figurent certaines des 119 personnes mineures non-accompagnées actuellement à bord de l'Ocean Viking. « Je ne croyais pas que nous allions survivre », témoigne Daouda*, un rescapé de 20 ans originaire du Burkina Faso.
« Europe : nous avons besoin d'une intervention humaine répondant à des valeurs d'humanité pour que cesse immédiatement cette catastrophe. »
« Les personnes piégées en mer sur des embarcations de fortune au milieu de la Méditerranée ne peuvent évidemment pas se sauver elles-mêmes. Le sauvetage nécessite une intervention humaine. C'est ce que nous, en tant que sauveteuses et sauveteurs, demandons une fois de plus à l'Europe. Hier, pour la première fois depuis des mois, un navire de la marine européenne, de la marine italienne plus précisément, a effectué un sauvetage dans les eaux internationales au large de la Libye. Nous espérons que cela annonce une prise de conscience de la part des gouvernements européens », poursuit Sophie Beau.
Sept ans après la fin de l'opération Mare Nostrum, SOS MEDITERRANEE demande toujours qu'un dispositif européen de recherche et de sauvetage efficace, conforme au droit et répondant à des valeurs d'humanité, soit rétabli de toute urgence. Cela passe par le retour à une coordination efficace, rapide et non-exclusive, dans le plein respect du droit maritime, entre les autorités maritimes et tous les navires présents en mer. Le rétablissement d'une flotte européenne de recherche et de sauvetage est la seule option. L'Europe ne peut plus rester passive face à des naufrages récurrents alors qu'elle soutient sciemment un système d'abus inqualifiables en cautionnant les retours forcés en Libye.
« Europe, nous sommes tes citoyens et nous avons vu le pire cette semaine. Il nous reste l'espoir que tout cela ne sera pas vain. Nous avons besoin d'une intervention humaine répondant à des valeurs d'humanité pour que cesse immédiatement cette catastrophe » a encore déclaré Sophie Beau.
*Le nom a été changé.
Note
Le 27 avril, l'équipe de l'Ocean Viking a porté secours à 236 hommes, femmes et enfants de deux embarcations pneumatiques en détresse dans les eaux internationales de la zone de recherche et de sauvetage libyenne. Quelques jours avant l'opération de sauvetage, le 22 avril, l'équipe avait été témoin des conséquences d'un effroyable naufrage qui a fait 130 victimes, toujours dans la zone de recherche et de sauvetage libyenne. Une douzaine de cadavres ont été vus par l'équipe à bord de l'Ocean Viking. Dans les heures qui ont précédé la découverte des restes du naufrage, aucune information n'a été communiquée par les autorités compétentes à l'Ocean Viking, seul navire de sauvetage humanitaire alors présent dans la zone. Aucun centre de coordination des secours maritimes n'a assuré une coordination efficace du cas de détresse. Ce n'est qu'après-coup que l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes Frontex a révélé que c'était l'un de ses avions de patrouille qui avait lancé deux appels MAYDAY pour le bateau en détresse. Trois navires marchands et l'Ocean Viking, navire de sauvetage civil, se sont coordonnés entre eux dans la zone pour organiser la recherche de survivant.e.s. Nos appels de soutien et de coordination sont une nouvelle fois restés sans réponse.
Le 28 avril, les garde-côtes libyens ont intercepté deux embarcations en détresse à proximité de l'Ocean Viking, sous les yeux des personnes rescapées et de l'équipe à bord. L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a confirmé que plus de 100 personnes ont été renvoyées de force en Libye. Selon un porte-parole de l'OIM, toutes ces personnes ont été emmenées dans des centres de détention, y compris les femmes et les enfants.
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